Hervé Gaymard veut taxer le livre d'occasion

Le député UMP Hervé Gaymard a posé une question parlementaire sur le livre d’occasion. Et le contenu pose réellement question !

Alors que le développement du marché du livre numérique mobilise l’ensemble des acteurs, soucieux à juste titre d’une répartition équitable des profits, se développe depuis plusieurs années un nouveau marché de l’occasion qui enrichit tous les acteurs à l’exception notable des auteurs et des éditeurs, pourtant les premiers concernés.
Hier marginal et cantonné aux vide-greniers et aux bouquinistes, le marché de l’occasion représente aujourd’hui plus de 42 % des ventes de livres, et ses acteurs, Amazon, Priceminister, la FNAC ou Ebay touchent des commissions sur chaque vente et sont soumis pour partie à la TVA.
Au contraire, ceux qui ont créé et édité les livres vendus ne perçoivent aucun bénéfice de cette exploitation et voient même leur chiffre d’affaires amputé de recettes non négligeables.

Sa proposition est donc simple. Il faut instaurer une « contribution », une taxe quoi, sur les ventes d’occasion. Amusant réflexe qui vient à créer une taxe pour venir en aide à chaque secteur économique qui a des soucis.

Cette proposition pose plusieurs questions à commencer par le fameux chiffre de 42%. D’où vient-il ? Ensuite, sa question laisse à penser que le livre d’occasion est un marché récent. Depuis gamin, j’ai 36 ans donc ça fait un moment, je vais chez Gibert Joseph où sont accumulés des milliers de livres d’occasions et notamment scolaires. Chaque année c’est là que je revendais mes livres de cours.

Internet est venu jouer un rôle d’intermédiation. Au lieu d’aller chez le libraire qui le reprend, de mettre une petite annonce dans un journal, ou d’aller le vendre dans une foire ou une brocante, je le dépose sur une place de marché qui va le montrer aux acheteurs potentiels. Encore une fois c’est sur l’intermédiation qu’Internet a bousculé les choses. Il se trouve que ces intermédiaires peuvent être la Fnac ou Amazon, ce qui est logique pour eux. Mais ma fameuse librairie Gibert Joseph vend aussi du livre neuf. Il n’y a donc pas de distinction, juste un autre canal.

Propriété de l’objet et propriété de l’oeuvre

Il remet ensuite en cause la notion de propriété d’un objet. La caractéristique du monde physique est que chaque achat est destructeur. Je ne veux vendre qu’une fois un objet. Une fois vendu je ne peux le revendre à une autre personne car je ne l’ai plus et le reproduire à un coût. Un coût nul dans le numérique où tout se duplique. En revanche son nouveau propriétaire peut revendre l’objet.

Car quand j’achète un livre je deviens propriétaire de l’objet mais pas du contenu. C’est ce qui permet au député de faire sa proposition. Dans le domaine de la création artistique, on distingue la propriété de l’objet et la propriété de l’oeuvre en elle même. L’auteur du livre dispose lui d’un droit moral sur son oeuvre. Quand j’achète un livre j’obtiens la possibilité de profiter de l’oeuvre mais je n’en suis pas propriétaire pour autant. Je ne peux le copier, reproduire, dupliquer, le dériver… Gaymard souhaiterait donc que l’auteur touche une somme à chaque fois qu’une nouvelle personne accède à l’oeuvre.

Pas la première loi

Ce qui est assez curieux, c’est qu’Hervé Gaymard est lui même dans le coup d’une loi de 2012 sur l’exploitation numérique des livres indisponibles au XXème siècle. Ce texte vise à rendre de nouveau disponibles, sous forme numérique, des ouvrages publiés avant le 1er janvier 2001 qui ne sont pas encore tombés dans le domaine public (70 ans après la mort de l’auteur) mais qui ne sont plus diffusés commercialement par un éditeur, que ce soit sous une forme imprimée ou numérique.

Cela concerne 60.000 livres pour le moment mais pourrait atteindre 500.000 ou 700.000 oeuvres à terme. Intention louable de faire circuler la culture, mais très critiquée par des auteurs qui se sentent pillés par une loi qui bafoue selon eux le Code de la Propriété Intellectuelle et récompensait même des éditeurs qui ne font pas leur boulot. Les avocats avaient eux pointés la complexité de cette loi qui créé le principe d’une SACEM du livre et donc ses défauts : redistribution des droits qui fait la part belle aux plus gros, obligation d’adhérer pour percevoir…

Sur le chemin de la musique

Le rapprochement avec le disque est important pour moi, car à mon sens le livre suit le même chemin et donc les mêmes difficultés : la version numérique est parfois publiée plusieurs semaines ou mois après la sortie de la version papier, le prix des livres est souvent jugé comme trop élevé, les DRM appliqués frustrent les acheteurs tant pour la lecture que pour le prêt. Et qui dit frustration dit en général piratage…

Et si on ajoute à ça une production massive mais pas toujours de qualité comme à su très bien le faire la musique elle aussi, l’avenir pour l’industrie du livre peut être compliqué alors même que l’avenir du livre en tant qu’oeuvre est incroyablement florissant.

C’est plus probablement la chaine des intermédiaires entre l’auteur et lecteur qui va se recomposer petit à petit. Certains éditeurs tireront leur épingle du jeu quand d’autres oeuvreront surtout pour le maintien de leur ancien mode de pensée.

A ce sujet, savez-vous quelle est la maison d’édition à laquelle j’ai acheté le plus de livre en 2012 ? Il s’agit de Diateino dont l’excellence des ouvrages est remarquable…